Ses mains qui se resserrent sur le volant, ses yeux qui scrutent la route déserte et Indigo soupire. Elle ne sait faire que cela, soupirer. Mordre sa lèvre, réfléchir, tiraillant entre sa raison et sa folie. Elle est là, insidieuse, permanente, la tenant par quelques petits fils fragiles au dessus du vide, noir, âcre, étouffant. Elle sait qu'elle s'est perdue, que cette soirée est aussi pourrie maintenant que depuis son commencement. Et sa fin ne sera sûrement pas plus enjolivée. Elle sort du véhicule. Le silence l'accule, la prend à la gorge. Elle n'aime pas cela mais elle reste imperturbable, comme totalement détachée de ce qui vient de lui arriver. Elle menace de lancer son escarpin dans le pare-brise, soudaine envie de violence, inattendue mais bienvenue dans son indifférence étrange. Elle se saisit de son portable et finit par appeler celui dont elle ne veut plus croiser le regard. Judd ... Elle veut presque l'effacer, le radier. Sachant parfaitement que l'amour fraternel est bien trop fort entre eux pour qu'elle puisse atteindre ce but. A l'entente de sa voix, sa main se crispe mais son expression ne change pas. Elle lui fait simplement part de la situation en quelques mots froids, une stupide panne d'essence dans un coin paumé ... Un bruit attire son attention et Indigo se détourne, scrutant l'obscurité. Elle ne détient aucune arme, aucun moyen de se défendre contre le mal ... Rien.

Cela faisait bientôt trois heures que tu fixais ton cahier avec intensité, comme s’il allait te donner la réponse au problème que tu te posais. Ton stylo à la bouche, tu soupirais, te passais les mains dans les cheveux, t’étirais. Tu n’en pouvais plus. Tu aimais bosser tes cours, mais là, tu étais en train de saturer. Tu regardas par la fenêtre. La rue était déserte. Personne n’osait sortir seul ces derniers jours et surtout pas par un temps pareil. Le ciel était noir, menaçant. Tout le monde avait peur de ce qui pouvait surgir au coin de la rue. C’était dommage de vivre dans la peur sans cesse, mais c’était déjà mieux que de vivre dans la tristesse comme toi. Tu soupiras. Tu ne pensais pas qu’à Jacob. Tu pensais aussi à ta relation brisée avec Indigo, ta petite sœur. Tu eus un léger pincement au cœur en pensant à elle, aux rires que vous partagiez autrefois. Tu croisas tes bras sur ta poitrine en inspirant profondément. Tu chassas rapidement ces souvenirs douloureux de ton esprit et repris ton travail. Le code pénal n’était pas aussi amusant qu’on pouvait le penser, mais tu n’avais pas le choix. C’était la seule chose qui te permettait de ne pas sombrer. La seule chose qui te raccrochait à la réalité de la vie.  Une sonnerie te tira de tes pensées. Ton téléphone. « Allô ? ». Tu n’avais pas vraiment pris la peine de regarder qui t’appelait, tu avais décroché par pur reflexe. Tu agissais tel un robot quand tu travaillais. Tu ne pensais plus, tu agissais. Sa voix résonna en toi. Indigo. Tu ne pouvais pas en croire tes oreilles. Tu ne comprenais pourquoi elle t’appelait et surtout pas à cette heure-ci. Elle t’expliqua rapidement la situation. Une panne d’essence. Elle avait besoin de toi. Sans attendre une seconde de plus tu pris ton manteau et enfourcha ta bécane. Ton esprit de grand frère avait pris le dessus. Tu te devais de la protéger coute que coute. Pour une fois qu’elle faisait le premier pas, tu ne pouvais pas la décevoir. Le paysage défilait à toute vitesse. Tu roulais trop vite, mais tu n’en avais rien à foutre. Tu ne voulais pas qu’il lui arrive quelque chose. Tu ne pourrais pas survivre si elle aussi venait à disparaître. Tu arrivas sur place bien plus tôt que prévu. Tu avais roulé comme un chauffard, tu n’avais rien respecté, mais t’en avais rien à foutre. Tu descendis ta moto cherchant ta sœur du regard. Tu ne la trouvais pas. Tu voyais sa voiture, mais tu ne la voyais pas. La peur te saisit, ton estomac était noué, tu avais du mal à respirer. Un bruit attira ton attention. Quelque chose se trouvait derrière la voiture. « Indigo ? ». Tu avançais doucement. Tu n’avais rien pour défendre. Rien, si ce n’est tes poings. « Indi, c’est toi ? »

Elle n'a pas peur. Jamais. C'est comme un sentiment qui s'est finalement brisé il y a des années. Brisée comme la nuque de son frère. Brisé comme son cœur quand elle l'a vu tomber à terre, inerte. Brisé comme l'esprit de son frère encore vivant. Celui qu'elle vient d'appeler. Celui qu'elle sent prêt à tout pour elle ... Elle serre les dents, elle n'aime pas cela Indigo. Qu'il tente encore et encore de vouloir l'aider, l'aimer, la supporter. Ne se rend-t-il pas compte du mal qu'elle cherche à lui faire, simplement pour l'éloigner ... égoïstement ? Elle ne lui apporte plus aucun intérêt. C'est factice, c'est un mensonge qu'elle se fait à elle-même n'appréciant pas de voir la souffrance dont elle connait la raison dans son regard. Elle jette un œil à son portable juste avant que l'écran ne devienne noir, reflétant son visage blême. Détournant le regard, elle s'avance vers la station essence déserte. C'est ici qu'un cadavre a été retrouvé, elle se souvient de ce qu'elle avait entendu aux infos. Sera-t-elle la prochaine ? Tuée par un simple coup de couteau, la gorge tranchée, les yeux vides de toute expression, son corps frêle rigidifié par la mort ... ? Cette pensée macabre ne la fait même pas frémir. Elle se sent lentement vriller, le froid entrant pour fouetter sa peau, malgré son manteau en laine.. Elle se détourne et revient vers la voiture. Elle sent une forte odeur d'essence. Fronçant le nez, elle s'accroupit pour découvrir que le pot d'échappement laisser goûter le liquide transparent. Une étincelle et tout explosera. La mort rôde ... Le silence puis un vrombissement. Elle reste abaissée, elle se méfie Indigo. Plissant les yeux, elle remarque un homme descendre de sa moto bruyante. Moteur coupé, le voilà qui se dirige vers elle. Fébrile, elle se prépare à courir alors que la voix de son frère se fait entendre. Elle se relève, un soulagement honteux se faisant ressentir au fond d'elle. Elle hoche la tête Oui, qui veux-tu que ce soit, Judd ? Des mots méchants, froids. Elle sent la culpabilité la ronger. Horrible petite sœur ... Elle baisse les yeux avant de déclarer Le pot d'échappement coule. Je m'y connais pas en mécanique. Tu me ramènes ? Sur ce, elle se penche par dessus la vitre du côté passager et prend son sac avant de reprendre Maman et papa t'on vu partir ? Une question peu anodine. Si ils se rendaient compte que leur chère petite fille était partit pour une fête qui l'avait finalement ennuyée, elle serait sûrement enfermée dans sa chambre. A son tour. Comme Jacob ... Chassant très vite ce souvenir abominable, elle haussa un sourcil fasse à la moto de son frère Tu devrais investir dans une voiture, si j'avais porté une jupe sûrement que tout le quartier aurait eu de quoi se rincer l’œil. Sans aucune honte, elle hausse un sourcil avant de finalement tourner la tête vers ce bruit, encore. Un craquement. Elle déclara d'un ton un peu plus angoissé Il y a quelque chose dans les champs, Judd ...