Tu avais besoin d’air. Tu étais en train d’étouffer à rester enfermé chez toi. Tu ne pouvais plus vivre, tu ne pouvais plus être auprès d’elle. Ça te rendait malade de la voir faire comme si de rien était. Oh oui, elle devait être heureuse de sa mort, ça lui avait enlevé un fardeau. Elle n’avait plus besoin d’inventer de mensonges pour cacher ses longues absences. Jacob était mort, en voilà une bonne excuse pour une très longue absence. Tu avais envie de vomir rien qu’en la voyant errer dans la maison, faisant tu ne savais quoi. Tu sentais colère monter en toi, tu savais que tu devais sortir avant qu’elle te fasse exploser. Tu savais que tu devais te changer les idées avant de laisser libre court à ta haine envers ta mère. Tu en avais besoin. Jetant violement ton stylo sur ton cahier, tu pris une grande inspiration. Tu avais la mâchoire crispée, les poings serrés, la jambe qui tremblait. Tu étais sur le point d’exploser. Tu inspiras un grand coup dans l’espoir de te calmer, mais rien n’y faisait. Tu avais simplement envie de lui faire exploser la cervelle d’une balle en pleine tête. Tu devais sortir, et vite. Tu pris ta veste en cuir avant de claquer la porte sans même avoir pris la peine de prévenir que tu sortais. En même temps, personne n’en avait rien à foutre que tu sortais, tout le monde se mêlait de ses propres affaires. Tu enfourchas ta moto et pris la direction du centre-ville. Tu pouvais pas rester dans ton quartier natal. Tu voulais pas croiser tous les cents mètres une tête qui t’étais familière. Tu voulais être seul. Tu voulais te sentir libre. Et tu te sentais libre. L’air qui passait dans tes cheveux, qui remplissait tes poumons. Tu te sentais invincible quand tu étais sur ta moto, comme si rien de mal ne pouvait t’arriver. Tu pouvais rouler comme ça pendant des heures, tentant tant bien que mal de te calmer, mais rien n’y faisait, la rage que tu avais en toi ne voulait pas te lâcher, elle restait là, accrochée à toi. Les immeubles défilaient à toute allure autour de toi, tu ne faisais pas vraiment attention où tu allais. Tu n’allais nulle part en vérité, tu errais. Sans vraiment savoir pourquoi tu te retrouvas au pacific park. Tu adorais venir là avec Jacob quand vous n’étiez que des gamins. Vous pouviez jouer des heures et des heures entres les arbres. C’était votre petit coin de paradis loin de la villa et de tous les problèmes quotidiens. Tu descendis doucement de ta bécane, regardant le paysage naturel qui se trouvait devant tes yeux. Ton cœur s’emplit de nostalgie. La haine avait disparu, laissant place au manque. Il te manquait. Lentement, tu entras dans le parc. Tu déambulais dans les allées bordées de fleurs. Tu pensais à lui. Tu ne faisais pas attention au monde qui t’entourait. Il n’y avait que toi et ta nostalgie. Tu cherchais le banc sur lequel vous jouiez des heures aux astronautes de l’espace. Votre banc. Tu le retrouvas facilement. Il était toujours là, il avait vieilli avec toi. Tu venais souvent ici lorsque tu étais triste, lorsque tu voulais être seul, c’était ton coin à toi. Une jeune femme brune était déjà assise sur le banc, mais tu n’en avais que faire. Tu étais tellement absorbée par tes pensées et tes souvenirs que tu voyais sans réellement regarder. Tu t’assis à ton tour sur le banc lâchant un vague « bonjour » par simple politesse à la jeune femme sans réellement attendre une réponse de sa part. De toute manière, tu ne voulais pas être dérangé.

Tu sais que c’est mal. Le jour, la lumière, les rayons de soleil qui tapent sur ta pauvre peau blanche. Blanche de l’hiver. Blanche à jamais. Tu n’aimes pas sortir le jour, voir les autres. Regarder les gens te sourire, ou faire la gueule, comme tout le monde peut faire la gueule dans cette ville. A croire que le temps c’est arrêté en même temps que le bonheur il y a plus d’un an. Quand ta meilleure amie s’est barrée en simulant sa « mort ». Sa disparition plutôt. Tu t’en foutais pas mal des autres. De leurs soucis merdiques. De comment ils peuvent bien gérer leur vie de merde, sans intérêt, sans frissons. Tu veux juste errer, mains dans les poches, à la recherche de la solitude, à la recherche de l’air frais.  Oiseau de solitude, vagabonde solitaire. Voilà ce que tu es. Ton frère est parti faire tu ne sais trop quoi, avec des amis, un coup à t’abandonner sans pitié. Tu ne lui en tiens pas rigueur, de toute façons. Ton jardin secret est aussi grand que le sien. Tu comprends ce désir purement humain, purement vous, d’être seul, d’aller voir ailleurs. De faire cocue votre propre vie. Ton petit cul taille trente six posé sur ce banc. Un banc, par mis tant d’autres. Cigarette à la bouche, aux lèvres à peine maquillées, comme jamais. Ce type qui arrives à son tour, son cul sur le banc, à côté de toi. Il ne te faut pas longtemps pour regarder quelques secondes le jeune homme, sa voix, sa posture. Lui même. Bonjour Tu ricanes à peine, un son même pas audible à l’oreille d’un chien. Avant c’était plutôt tes lèvres les miennes, contre un mur. Maintenant tu m’dis bonjour, on descend de gamme. Les courbes du parc, les arbres, les feuilles. Tes yeux n’en ratent pas une miette.

Tu pensais à rien en particulier. Jacob, ta mère, ta sœur, tes cours, la vie, la mort. Tout te revenait à la gueule et tu savais pas comment gérer tout ça. Tu avais espéré que venir ici t’aiderais, mais rien n’y faisait. La peine ne partirait jamais. Tu t’étais assis sur ce banc espérant le retrouver ne serait-ce qu’un instant. Mais il n’était pas là et il ne serait jamais là. A sa place se tenait une femme, la clope au bec. Tes coudes sur tes genoux, ton menton posé sur tes mains liées, tu regardais le spectacle de la vie qui se jouait devant tes yeux vides.  « Avant c’était plutôt tes lèvres les miennes, contre un mur. Maintenant tu m’dis bonjour, on descend de gamme. ». Tu n’as pas réagi sur le coup, tu pensais pas qu’elle te parlait à toi. Pourquoi est-ce qu’elle te parlerait à toi. Puis l’absence de réponse, tu te retournes vers elle. «  Je vous demande pardon ? ». Tu finis par la regarder. Elle. Son visage te revint en tête suivit aussitôt des souvenirs. « Oh putain… ». Tu voulais pas la recroiser, t’avais tout fait pour l’éviter et ne jamais la revoir. Et voilà qu’elle se tenait là, devant toi. Tu passas ta main dans tes cheveux, inspirant une grande bouffée d’air. Tes yeux partaient dans tous les sens, comme s’ils cherchaient de l’aide. Sauf que t’étais seul dans ce merdier. Personne n’en avait rien à foutre de ta petite vie. Chacun faisait sa route et n’allait surtout pas se mêler de tes affaires. Un rire nerveux s’était échappé de ta bouche. Tu sentais une boule dans ton ventre. Tu portas ton regard sur elle une nouvelle fois. « Je… Euh… Tu… Je t’avais pas reconnu. Ça fait un bail ». Tu bafouillais. Tu savais pas trop quoi dire. En même temps tu n’avais aucune excuse pour ne pas l’avoir reconnu, ni même avoir essayé de la revoir. Dans un sens, elle n’avait pas chercher à te revoir non plus. Si ça se trouve, vous étiez dans le même merdier. Si ça se trouve, tu n’étais pas seul dans cette situation inconfortable. Tu voulais t’échapper, mais tu ne pouvais pas. Tu te devais de faire la conversation, mais tu ne savais pas vraiment comment entamé cela et surtout pas comment tu allais de dépêtrer de la situation dans laquelle tu t’étais mise. T’avais juste besoin d’air, pas d’un problème supplémentaire.